En novembre 2001, lors de la conférence de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) réunie à Doha (Qatar), la décision de faciliter l'accès aux médicaments génériques pour les pays en voie de développement — notamment en les achetant à des pays émergents qui les fabriqueraient à faible prix sous licence — avait été saluée par la communauté internationale comme une avancée humanitaire. L'OMC disposait d'un an pour mettre en place les modalités d'importation de ces médicaments. Or les Etats Unis ont décidé de bloquer cet accord dans les dernières minutes avant la fin de la négociation. Le "Bangkok Post" insiste sur "la déception des pays membres de l'organisation, presque tous opposés à Washington, qui croyaient qu'un accord était possible". "Le commerce passe avant les préoccupations humanitaires", remarque un haut fonctionnaire européen.
Officiellement, les Etats-Unis ont peur que l'accord ne s'étende à d'autres médicaments que ceux destinés aux maladies infectieuses, comme le sida, le paludisme, la tuberculose ou autres graves pandémies. Ils voudraient limiter la vente des génériques aux pays les plus démunis, incapables de fabriquer eux-mêmes leurs médicaments. Le "Bangkok Post" remarque que, "comme par hasard, l'industrie américaine investit très peu, en dehors du sida, dans la recherche contre ces maladies". Officieusement, c'est en effet sous la pression des lobbys pharmaceutiques que Washington veut revenir sur les acquis de Doha. Les millions dépensés dans la recherche sont la clé de voûte du retournement américain. Le "Mail and Guardian", de Johannesburg, précise même que "l'ordre de suspendre cet accord est venu directement de la Maison-Blanche". "Le Temps", de Genève, rappelle que "cette industrie a été un important bailleur de fonds de la campagne électorale de George W. Bush".
Le Japon et L'UE derrière les Etats-Unis
L'Industrie pharmaceutique se défend en disant que, si des médicaments génériques sont soldés dans le tiers-monde, elle n'aura plus d'argent pour la recherche. Un représentant de l'industrie du médicament, présent à Genève et cité par le "Mail and Guardian", affirme même qu'"aucune maladie rentable pour cette industrie ne pourra être incluse dans la liste des maladies prioritaires". L'Inde, la Chine et le Brésil, trois pays producteurs de médicaments, ont répondu qu'ils étaient les seuls qualifiés pour juger de leurs problèmes de santé publique. Ils craignent que les engagements pris à Doha ne deviennent caducs.
Le "New York Times" prend pour sa part le parti des industriels et se montre préoccupé par la capacité de ces pays à produire des médicaments. Ils pourraient utiliser un accord sur les licences pour fabriquer à bas prix, par exemple, du Viagra ou des traitements anticalvitie. L'"International Herald Tribune" cite le représentant américain à l'OMC, qui espère que d'autres pays rejoindront bientôt son camp. Le Japon, la Suisse et une partie de l'Union européenne, la France non comprise, n'en sont pas loin. La reprise des travaux, prévue en janvier, permettra d'y voir plus clair.
La marge de manoeuvre des pays du tiers-monde face au commerce international est réduite et leur presse qualifie cette volte-face américaine de naufrage ou d'échec. "Cette incapacité à négocier aura de graves conséquences pour les pays pauvres de même que pour l'OMC", constate Supachai Panitchpakdi, directeur général de l'organisme international. D'une part, dans l'immédiat, des millions de malades ne pourront être soignés ; d'autre part, le commerce international a besoin de la participation de ces pays.
Auteur :
Courrier International
Non Aux Guerres ! par CheGuevara