Organisation contre l'impérialisme américain.

Coton qui rit, coton qui pleure
28/01/2004

Le coton est censé être roi autour du fleuve Niger, mais ceux qui le cultivent vivent comme des indigents. Mory Gangaré a attelé deux bœufs maigres à sa charrue à un soc : pieds nus, ce paysan de 22 ans va passer les 14 prochains jours à labourer et planter ses 6 hectares de coton. Après sa dernière récolte, une fois les frais payés, la famille s'est retrouvée avec moins de 2 000 euros pour faire vivre une vingtaine de personnes pendant un an. Les producteurs maliens ont reçu 28 cents d'euro par kilo l'an dernier et devraient en toucher environ 25 cette année. Dans le même temps le prix de l'engrais est passé à 4 cents le kilo. Chaque cent compte au Mali car le coton paie tout : l'école, la nourriture, les cachets contre le paludisme et les dots pour les familles et les futures épouses.
Comme au Mali, le coton est l'élément essentiel de l'économie du delta du Mississipi aux Etats-Unis. Les 500 000 hectares plantés et les entreprises qui en dépendent génèrent plus de 3 milliards de $ de revenus pour la région, dans certains comtés, la moitié des emplois sont liés au coton directement ou indirectement. Perthshire Farm est une exploitation de 4 000 hectares dirigée par Kenneth Hood et ses trois frères : il monte dans la cabine climatisée d'un tracteur Case de 125 000 $ et se prépare à arroser ses champs d'engrais, il manipule un système de guidage par satellite qui lui indique quelle quantité verser sur ses plants. La plupart des champs du delta sont irrigués pour que les plants supportent l'intense chaleur de l'été. Les semences coûtent cher parce qu'elles sont génétiquement modifiées pour résister aux parasites. On utilise des engrais pour accélérer la croissance au printemps et des défoliants pour exposer la graine en automne et faciliter les récoltes mécanisées (une machine permet de faire 150 balles de 256 kg chacune en une seule journée, elle coûte 300 000 $). Tout cela fait que les planteurs du delta ont les coûts de production les plus élevés du monde et explique en partie leur besoin de subventions.
Les subventions protègent les producteurs américains contre la chute des cours mondiaux et favorisent cette baisse en encourageant leurs productions. Les Etats-Unis sont les premiers exportateurs de coton, l'Afrique de l'Ouest (dont le Mali) les troisièmes, et tous les deux sont à la merci des forces du marché qui ont fait baisser les cours de 66% depuis 1995. Dotés de quelques 3.4 milliards de $ de subventions, les planteurs américains ont réalisé une récolte record de 4.38 milliards de kg aggravant ainsi la saturation du marché. Quel contraste avec le Mali qui est l'un des dix Etats les plus pauvres du monde (240 euros de revenu moyen par an et par habitant) , dont l'Etat manque de tout et n'a pas les moyens d'accorder de telles subventions. En élargissant ainsi le fossé entre riches et pauvres, les subventions vont créer des problèmes. En Afrique de l'Ouest où l'islam est la religion dominante, les jeunes fuient en masse vers les villes d'Europe, et ceux qui restent voient de plus en plus de religieux moyen-orientaux investir mosquées et écoles coraniques. Les gouvernements laïcs locaux soulignent qu'ils ne laisseront pas des organisations terroristes embrigader les mécontents, mais ils rappellent aussi que la pauvreté persistante fait monter ce mécontentement.

Roger Thurow et Scott Kilman du Wall Street Journal, publié par Courrier International, septembre 2002

Auteur :
Thurow & Kilman

Retour