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Lorsque Les E-U Se Sont Alliés Avec Les Talibans
28/01/2004

Jusqu'en 1998, les Etats-Unis ont été les maîtres d'œuvre des projets gaziers des talibans
Jusqu'en 1998, les Etats-Unis se sont vivement intéressés à la place de l'Afghanistan dans le grand jeu pétrolier d'Asie centrale. Car si les réserves d'hydrocarbures de ce pays sont trop faibles pour servir d'aliment aux guerres qui s'y sont déroulées, sa position géographique en fait une clé de l'évacuation des ressources d'Asie centrale. Il commande en effet l'accès aux mers chaudes, mer d'Oman et océan Indien.

Cette position intéresse directement le Turkménistan, qui dispose de réserves gazières importantes (plus de 20 billions - 1012 - de m3).

Quand le Turkménistan s'est libéré, avec la chute de l'URSS, de la tutelle de Moscou, il a cherché le moyen d'acheminer son gaz vers des pays émergents aux besoins énergétiques croissants : soit à l'ouest vers la Turquie, soit au sud - Pakistan, Inde, Thaïlande, etc.

Le Turkménistan ne pouvait guère compter sur la collaboration du géant russe Gazprom pour exporter le gaz vers l'Europe, cette compagnie étant peu désireuse de se créer une concurrente sur son marché privilégié. Deux routes étaient possibles : à travers la Caspienne ou à travers l'Iran. Mais le champ gazier de Shah Deniz, appartenant à l'Azerbaïdjan, est beaucoup plus attractif pour la Turquie, qui n'a donc pas manifesté d'intérêt pour le gaz turkmène.

Restait donc la voie du sud. Un projet de gazoduc commença à être élaboré, et un tracé prit forme en 1994 sous l'égide de la compagnie argentine Bridas. Mais le président turkmène, Saparmurat Niazov, estimait que les Etats-Unis devaient mener ce projet - on ne sait si l'idée lui en fut soufflée par Washington. Toujours est-il que Bridas fut éjectée du projet au profit de la compagnie texane Unocal. Bridas allait d'ailleurs porter l'affaire en justice en février 1996, pour se voir déboutée en octobre 1998 par un tribunal du Texas.

MOUVEMENTS FÉMINISTES

En 1995, les détails techniques commencèrent à être posés : le gazoduc transporterait, sur quelque 1 400 km, le gaz du champ turkmène de Dauletabad jusqu'à Multan, au Pakistan, d'où il serait envoyé vers le port de Karachi. Sa capacité serait de 50 millions de m3 par jour, son coût de construction de l'ordre de 2 milliards de dollars. En octobre 1997, le consortium Centgas (Central Asia Gas) était formé, comprenant Unocal pour 54 % des parts, une compagnie d'Arabie saoudite, Delta, pour 15 %, des compagnies japonaise, coréenne et pakistanaise et le gouvernement turkmène.

En janvier 1998, un accord fut passé avec les talibans, qui avaient pris le pouvoir en 1996. A cette époque, le régime taliban était donc vu favorablement à Washington. Mais cette collaboration allait susciter aux Etats-Unis l'opposition de mouvements féministes, scandalisés qu'Unocal travaille avec le régime taliban. Autre facteur négatif : le prix alors bas du pétrole, et donc du gaz, diminuait l'intérêt du projet afghan. La situation pour le moins instable de l'Afghanistan compliquait encore ce projet très politique, que les institutions financières internationales refusaient de soutenir.

Les attentats du 7 août 1998 contre les ambassades américaines à Nairobi et Dar es-Salaam allaient ruiner le gazoduc. Le 21 août, Unocal annonçait qu'elle "suspendait toutes ses activités impliquées dans le projet de gazoduc en Afghanistan". Le jour même, l'aviation américaine bombardait des cibles supposées terroristes en Afghanistan et au Soudan. Unocal allait se retirer du consortium Centgaz en décembre 1998.

Depuis, les talibans n'ont pas abandonné l'idée du gazoduc. En mars 2000, par exemple, il était au menu des discussions entre les ministres des affaires étrangères pakistanais et turkmène, lors d'une rencontre à Islamabad à laquelle participaient des représentants de Kaboul. En janvier 2001 encore, un représentant des talibans, Haji Habib Ullah Fauzi, réitérait l'intérêt du régime pour le gazoduc. Mais aucune grande compagnie ne s'est manifestée sérieusement depuis le retrait d'Unocal. Le gaz turkmène attendra la paix.

Le Monde

Auteur :
Hervé Kempf

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