Http://www.i-hate-france.com/, http://www.frenchboycott.net/, http://www.francesucks.com/, voici quelques uns des sites Internet que proposent les moteurs de recherche lorsque l'on tape France
et boycott
. Leur caractéristique : ils proposent tous une liste quasi exhaustive des marques françaises à boycotter. Objectif, selon une rumeur entendue à Washington : "Il faut faire perdre 1 point de croissance à la France cette année".
Si à Paris, les politiques jouent l'apaisement, les patrons s'inquiètent, et échangent des recettes anti-boycott dans les couloirs du MEDEF : il faut, dit-on, éviter de la ramener
et surtout valoriser les emplois créés par les entreprises françaises pour les salariés US. Mais toutes nos entreprises n'emploient pas, comme Sodexho, 11 000 personnes aux Etats-Unis. La question de fond reste celle-ci : s'agit-il d'un mouvement d'humeur ou d'une phase stratégique des relations franco-étasuniennes.
Aux dires des observateurs, la campagne de boycott ne produirait pas encore les effets escomptés aux Etats-Unis. Bien sur, pour l'anecdote, les french fries
ont été débaptisées dans les restaurants en vue. La gastronomie, premier ambassadeur de la France dans le monde, est touchée de plein fouet. Les ventes de vins français sont en baisse selon l'Union des Maisons de Bordeaux, et les restaurants français de New York affichent une baisse de clientèle de 20 à 30%. Selon un sondage, 29% des étasuniens se disent prêts à sanctionner la France par le boycott, et 64% d'entre eux sont moins favorables aux entreprises ou aux produits français
. Qui est concerné ? 2 150 entreprises françaises exercent aux USA, et nos exportations vers ce pays pèsent 26 milliards d'euros. En période de chômage et de croissance mole, ce n'est pas anodin pour l'économie nationale. En ligne de mire : Sodexho, bien sûr, dont le contrat de 881 millions de dollars avec le Pentagone a failli être dénoncé à la demande de parlementaires US, mais, aussi, le luxe : Chanel, Louis Vuitton et les vins de champagne, les biens de consommation : Evian, Yoplait, Danone ou Bic, les débouchés industriels d'Air Liquide, Airbus, Total ou la Cogema, et les fameux biens culturels
de Vivendi Universal ou du Groupe Marie Claire, comme le magasine Elle, premier titre de la presse féminine en nombre d'éditions dans le monde. Il s'est même trouvé un parlementaire étasunien pour dénoncer les contrats passés avec les marbriers français pour les monuments aux morts des cimetières militaires US.
Il faut pourtant relativiser l'impact de cette campagne de boycott. Quand on consulte les sites des groupes de pression spécialisés dans l'utilisation de cette arme économique
aux Etats-Unis, on n'y trouve pas de liste des produits français à boycotter, mais de vibrants appels à sanctionner Wall Mart pour sa politique sociale calamiteuse. Il importe plus au consommateur US de moraliser les pratiques de ses propres employeurs que de punir la France
. D'autant que certains sites web appelant au boycott cachent mal l'opération marketing qui se dissimule derrière les grands principes. Il s'agit essentiellement de boutiques en ligne qui proposent des T-shirt injurieux pour le drapeau français, ou des mugs décorées de caricatures de Chirac… Business first !
En réalité, les appels au boycott ne sont que l'écume de la vague. La rapidité de construction et de référencement des principaux sites Internet révèlent surtout une capacité de mobilisation des lobbies les plus chauvins. Mais c'est surtout la presse qui dirige la campagne. Les éditorialistes de Fox News continuent chaque jour leurs insultes à l'égard de la France. Les tabloïds britanniques, connus pour le bon goût de leur caricature de Jacques Chirac en ver de terre, donnent maintenant dans la désinformation pure et simple. Selon eux, les pièces rares pillées dans les musées de Bagdad se trouveraient déjà chez des collectionneurs parisiens. Plus sérieusement, les professionnels des psyop
de la "coalition" pourraient bien avoir inspiré les révélations du Sunday Times du 27 avril ou du Daily Telegraph du 28. Ces deux supports se livrent à une véritable orchestration de "révélations" compromettantes pour l'Etat Français. Renseignés par de soi-disant documents secrets découverts dans les décombres des palais irakiens, ils accusent Paris d'avoir renseigné Bagdad sur les intentions étasuniennes dans la phase de préparation du conflit, et relatent les relations anciennes entretenues par les services français avec les tristement fameux Moukabarats irakiens. La France aurait ainsi prêté la main à la répression des opposants au régime, en refusant des visas aux délégués invités à un colloque sur les droits de l'Homme. De là à prétendre que la menace de veto de Chirac n'avait pour seul objectif que de préserver ces relations contre nature, il n'y a qu'un pas… que d'aucuns ne résisteront pas à franchir. On connaît l'habileté des Etasuniens à produire des preuves
sur les turpitudes de leurs adversaires. On attendait de la victoire anglo-US en Irak la découverte de soi-disant armes de destruction massive dont Colin Powell avait tant parlé. On aura à la place la mise à jour des liens entre les états voyous
: la France et l'Irak. Après Bagdad, Paris, comme le proclame le graffiti d'un char US dans les rues de la capitale irakienne.
Cette menace d'invasion n'effraie personne dans nos ministères. Même si Chirac a cru bon d'organiser avec les Allemands, les Belges et les Luxembourgeois un mini-sommet
sur la défense européenne. Histoire de susciter une coalition pour nous défendre quand les Anglais, les Espagnols et les Italiens prendront part à la prochaine offensive US contre la France ? En revanche, au MEDEF, on déplore que nos entreprises soient en première ligne de cette guerre économique transatlantique. Toute guerre fait des victimes. Dans la guerre économique, on les appelle des chômeurs. L'organisation patronale souligne que nos entreprises sont inégalement armées pour lutter : les multinationales françaises, comme leur nom l'indique, sont multinationales, c'est à dire qu'elle sont françaises en France et étasuniennes aux Etats-Unis, donc à l'abris des sanctions. Il suffit au groupe Accor de retirer le drapeau français de l'entrée de ses hôtels Sofitel pour leur donner un look US. Mais les producteurs de Roquefort ne peuvent pas produire aux USA. Et le patronat français déplore l'absence d'approche stratégique du dossier par nos décideurs politiques.
Car il faudra bien se résoudre à considérer que la campagne actuelle relève d'une stratégie concertée aux USA. Il est en conséquence à craindre que l'après-guerre n'amène pas un règlement rapide du différent
souligne un analyste. Car les Etats-Unis, superpuissance économique et militaire, sont aussi devenu une superpuissance idéologique. Il est vain d'attendre la fin d'un simple mouvement d'humeur
. Les causes de l'opposition à la France se trouvent dans la nouvelle idéologie dominante outre-atlantique. Il s'agit d'un nouvel internationalisme mystique, comme il y eut, avec le marxisme, un internationalisme prolétarien. L'internationalisme mystique étasunien plonge ses racines dans le millénarisme, cette doctrine qui annonce régulièrement (chaque millénaire) la fin de l'histoire : par le retour du Christ, par l'apocalypse nucléaire ou par l'avènement planétaire de la démocratie, au choix. Et les Etats-Unis ont reçu la mission de hâter cet événement, nouveau peuple élu chargé de délivrer au monde un message : la paix et la sécurité des USA donneront la paix au monde. Peu importe qu'il faille pour cela mettre à bas la légitimité internationale de l'ONU, conduire l'OTAN au bord de l'éclatement, remodeler politiquement le Moyen-Orient et, au passage, redistribuer les cartes du marché énergétique mondial. Quand on est mu par un tel idéal, il est fatal de vouloir un jour ravir le flambeau de la conscience mondiale, que la France, patrie des droits de l'homme et de la démocratie, tient depuis 200 ans. Ce jour est semble-t-il venu. Rien ne sera plus comme avant…
Source : Infocrise.org
Auteur :
Mirmillon
L'Irak, c'est juste un tour de chauffe. par V. K. Ramachandran