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Le Triste Sort Imposé À Haiti
28/01/2004

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Oublié de Dieu... et des Hommes.

Depuis dix ans, l'Union européenne et les Etats-Unis maintiennent un embargo injustifié sur l'aide humanitaire envers l'un des pays les plus pauvres du monde. Plusieurs milliards d'euros d'aide sont gelés tandis que la population haïtienne souffre et voit diminuer son espérance de vie.

Jean-Bertrand Aristide (AFP)

"Que peut Haïti aujourd'hui, démocratique ou pas, sans l'aide internationale ? On ne vit pas d'élections démocratiques et d'eau fraîche !" s'emporte le quotidien local "Haïti en marche". "Pourquoi au nom de la démocratie, la communauté internationale - les Etats-Unis et l'Union européenne en tête - doit-elle compromettre le développement de l'île en maintenant l'embargo sur l'aide économique et humanitaire vis-à-vis d'un peuple qui a élu son président par la voie des urnes ?" demandent les directeurs d'une clinique d'Haïti, dans le quotidien "El País" de Madrid.

Existe-t-il des pays maudits ? Des pays au sujet desquels les mots manquent pour décrire la terrible spirale de la misère endurée chaque jour par leurs habitants ? André Corten dans "Misère, religion et politique en Haïti ", (Karthala, Paris, 2001) ose proposer un mot : désolation. L'ancienne "perle des Antilles" figure sur la liste des pays les plus pauvres du monde, avec 55 % d'analphabétisme, une mortalité infantile de 93,4 ‰, un chômage touchant 60 % de la population active et le taux de sida le plus élevé de la planète après l'Afrique subsaharienne. Au cours des trois dernières années, l'espérance de vie y a été réduite à 49,6 ans.

"L'esclave peut toujours casser ses chaînes" "Je sais bien que les oreilles des nations occidentales sont imperméables au cri de douleur des Haïtiens, mais se rappelle-t-on seulement, en cette année de célébration du bicentenaire de notre indépendance, l'histoire des luttes entreprises par ce peuple ? Il a été fascinant de voir un peuple noir, pauvre, esclave et peu nombreux se mettre debout avec un tel courage qu'il a battu l'armée française et a obtenu son indépendance en 1803, devenant ainsi la première nation noire indépendante du monde", rappelle Guercy Antoine, théologien laïc haïtien, dans le mensuel vénézuélien "Sic". La presse locale dans son ensemble fait grand cas de cette date anniversaire. "Le message, c'est que l'esclave peut toujours briser ses chaînes. Haïti est tout à la fois terre martyre et terre de l'espérance", s'enflamme le quotidien local "Caraïbe Express".

"Pendant les années 1990, nous avions la possibilité d'asseoir les bases d'une démocratie, c'était le moment de consolider la transition. Malheureusement, il n'en a pas été ainsi. Aujourd'hui, les signes dénotent une nouvelle concentration du pouvoir, mais doit-on pour autant nous abandonner à notre sort ?" reprend Guercy Antoine.

Les élections démocratiques de l'an 2000 ont vu revenir au pouvoir l'ancien prêtre progressiste Jean-Bertrand Aristide (qui fut président de 1991 à 1995) - après vingt-neuf années de dictature des Duvalier père et fils -, renversé par un coup d'Etat militaire en 1991, contraint à l'exil jusqu'en 1994, puis remplacé à la tête du gouvernement par René Préval, un proche de son parti, le mouvement populaire dénommé la Famille Lavalas. Le retour d'Aristide lors de ces élections qui avaient bénéficié d'une participation exceptionnelle de l'électorat - mais avaient été boycottées par l'opposition - représentait un formidable espoir de démocratie et la promesse de voir enfin se desserrer l'étau de l'embargo.

Trafic de cocaïne en plein essor

Mais la chance d'Haïti passa une fois encore sans que le pays parvienne à la saisir. Accusé de fraude massive, violemment contesté dans la rue par une opposition divisée, Aristide entre dans le collimateur des puissances occidentales. "Le sursis d'Aristide ne tient actuellement qu'à la maladresse de l'opposition. Il prône comme seule solution des élections anticipées en 2003, mais veut surtout démontrer la mauvaise volonté de l'opposition, qui n'arrive à désigner ses représentants au sein d'un nouveau Conseil électoral", se désespère l'éditorialiste de "Caraïbe Express".

Les atteintes aux droits de l'homme se multiplient. La crise politique alimente une violence civile incontrôlée qui dresse les uns contre les autres partisans et adversaires du gouvernement. Enfin, le changement de priorité impliqué par les attentats du 11 septembre 2001 et le trafic de cocaïne en plein essor, qui conduit l'administration américaine à qualifier Haïti de narco-Etat, viennent une fois de plus justifier la pusillanimité et la pingrerie de la communauté internationale.

"La France s'insurge contre la guerre en Irak en rappelant que les sanctions représentent le dernier recours. La France continue pourtant de frapper Haïti de sanctions. Haïti n'est pas menacé par les bombes, mais subit un embargo, comme les Irakiens. Pourtant, nous n'avons pas d'armes nucléaires, nous ne constituons aucune menace... Mais nous n'avons pas de pétrole. Ceci explique cela. Et puis la France, dans sa logique de grande puissance privilégiant uniquement ses intérêts commerciaux, peut se permettre de traiter la crise haïtienne de façon plus cavalière encore que les Etats-Unis puisque Haïti n'a pour elle, contrairement aux Etats-Unis, aucun intérêt stratégique (vague de réfugiés, trafic de drogue)", conclut amèrement "Haïti en marche".

Courrier International

Auteur :
Christine Lévêque

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