Une guerre en Irak pourrait jeter les bases d'une nouvelle sécurité globale
WASHINGTON, 16 mars (AFP) -
Une invasion américaine de l'Irak pourrait, en créant une nouvelle doctrine américaine de la guerre préventive, briser une pensée sécuritaire globale vieille de plusieurs décennies et exercer un impact imprévisible sur une série de conflits qui couvent à travers le monde.
Avec l'Irak, l'administration du président George W. Bush est en train de remettre en question une règle qui a régi la sécurité collective du 20e siècle, selon laquelle un pays n'a pas le droit de lancer une offensive contre un autre tant qu'il n'est pas en danger d'attaque imminente.
Le choc des attaques du 11 septembre 2001, qui a révélé que la seule super-puissance mondiale n'était pas en sécurité à l'intérieur de ses frontières, a contraint l'administration américaine à une remise en question de l'ensemble de sa politique sécuritaire.
Les craintes que des ennemis de l'Amérique puissent la prochaine fois échanger des avions en missions-suicide contre des armes de destruction massive a amené l'administration à passer à l'action.
"Si nous attendons que les menaces se matérialisent, il sera trop tard", a déclaré M. Bush en dévoilant la nouvelle stratégie américaine l'an dernier à l'Académie militaire de West Point. "Nous devons faire face aux pires menaces avant qu'elles n'émergent", a-t-il ajouté.
En septembre dernier, la Maison Blanche dessinait les contours de sa nouvelle stratégie de sécurité nationale en expliquant que, pour "prévenir des actes hostiles de la part de ses adversaires, les Etats-Unis se réservaient le droit, si nécessaire, d'agir avant".
Cette stratégie pourrait laisser des traces sur la scène internationale pendant des années et de nombreux analystes considèrent que l'Amérique est en train de redessiner le monde de l'après-guerre froide.
"C'est de toute évidence une gifle à la face du monde et aux normes internationales", affirme John Gershman, du Centre américain de politique étrangère.
Paradoxalement, les Etats-Unis sont en train de transformer un cadre international qu'ils avaient été les premiers à mettre en place via la charte de l'ONU qui a suivi la Seconde Guerre mondiale.
La charte garantit à ses membres le droit à l'autodéfense, et nomme le Conseil de sécurité arbitre d'une éventuelle action préventive.
Pendant plus d'un siècle, l'orthodoxie militaire américaine était restée basée sur la doctrine établie par l'ancien secrétaire d'Etat Daniel Webster.
Webster considérait que l'usage de la force était légitime "lorsque la nécessité de l'autodéfense devenait immédiate, écrasante, et ne pouvait plus laisser de choix à la délibération".
Ceux qui critiquent la volonté américaine d'en découdre avec l'Irak estiment que le conflit actuel ne remplit aucune de ces condiction, malgré la logique de M. Bush pour qui Saddam Hussein pourrait un jour remettre ses armes de destruction massive à des terroristes hostiles aux Etats-Unis.
"Que devons-nous faire? Rester assis et attendre un autre World Trade Center et les armes biologiques", s'interrogeait le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld dans une interview en 2002.
Les responsables de l'administration notent que, dans le passé, l'action des Etats-Unis, au Kosovo par exemple sous l'administration Clinton, n'a pas toujours suivi une approbation de l'ONU.
Donald Rumsfeld a rappelé que l'examen, lors de la crise des missiles de 1962, par le président Kennedy, du principe d'une frappe préventive contre les sites à Cuba abritant des fusées soviétiques représentait en soi une nouvelle stratégie pour l'Amérique.
Les responsables rappellent également que les interventions américaines en 1983 à la Grenade et en 1989 à Panama avaient eu lieu alors que les Etats-Unis n'étaient pas directement menacés.
Certains analystes craignent que la nouvelle stratégie américaine ait des effets pervers sur d'autres conflits.
"Légitimer les frappes préventives quand il existe la question du Cachemire ou la Corée du Nord peut faire frémir n'importe qui", ajoute John Gershman.
Mais l'administration campe sur ses positions et privilégie la sécurité des Américains.
"Mon travail est de protéger l'Amérique, et c'est exactement ce que je vais faire", a déclaré M. Bush récemment.
Auteur :
AFP
Paradoxes par Eduardo Galeano